l’art et l’automobile en question
Le Musée des Arts Décoratifs de Paris expose une partie de l’extraordinaire collection d’automobiles du couturier Ralph Lauren jusqu’au 28 Août, présentées comme des œuvres d’art. A juste titre ? Zapping Autonews Porsche 911 GT3 70 Years Porsche Australia Edition : l’édition limitée en vidéo Au même titre que les toiles de Maîtres, les statues antiques ou les livres incunables, les automobiles sont considérées par le Fisc comme des œuvres d’art échappant, à ce titre au champ de l’I.S.F en France (Impôt sur les Grandes Fortunes). Un Débat récent à agité l’hémicycle de l’Assemblée Nationale au terme d’une proposition de Loi visant à intégrer les œuvres d’art dans le calcul de l’I.S.F ; projet finalement écarté. Il faut dire que la valeur de l’art, et notamment celle des automobiles, peut représenter des sommes en millions d’euros. Certes, ces sommes sont encore éloignés de celles d’un tableau de Picasso ou de Van Gogh, mais apparaissent cependant très élevées pour des véhicules souvent fabriqués en plusieurs exemplaires, dont les plus anciens (pas forcément les plus chers) ont à peine plus de 100 ans.
Au plan administratif, une automobile devient potentiellement une œuvre d’art dès lors qu’elle a plus de 30 ans ; qu’elle a été produite en quantité limitée ; ou qu’elle présente un caractère historique, industriel, sportif, ou sociétal. Les interprétations possibles ouvrent de vastes horizons permettant au propriétaire d’une 4.CV Renault ou d’une DS Citroën – la 1ère lancée en 1955 – de revendiquer posséder une œuvre. A fortiori, celui qui détient un modèle de course avec palmarès ou une voiture à carrosserie unique peut légitimement prétendre au même statut. En tout état de cause, les véhicules anciens contribuent à la pérennité du patrimoine, et participent d’ailleurs chaque année, aux Journées Nationales du Patrimoine.
Elles ont aussi leurs musées, dont celui de Mulhouse, ayant rang de Musée National, conduisant ainsi à la réglementation et au contrôle en matière de cession éventuelle de pièces et d’exportation, comme pour les autres catégories d’œuvre d’art.
Les automobiles comme objet d’art ?
+6Ferrari 250 Testa Rossa de 1958. Collection Ralph Lauren.Credit Photo – Michael FurmanLe cadre administratif reconnait donc que l’automobile puisse être considérée comme un art. Et le marché aussi, dans la mesure ou des transactions , souvent les plus importantes, s’effectuent via des ventes aux enchères orchestrées par des Maisons spécialisées, qui en ont fait un département propre, aux côtés d’autres arts, à l’instar d’Arcurial à Paris par exemple.
Artcurial, dont le fondateur, le Commissaire Priseur Hérvé Poulain, a demandé dès les années 70 à des artistes comme Calder ou Warhol de peindre des voitures de courses (pour les 24 Heures du Mans), offrant ainsi au Pop Art, un support original. Herve Poulain a par ailleurs publié plusieurs ouvrages de référence sur l’art et l’automobile. Au delà de l’automobile en elle-même, l’art s’étend aussi aux objets qui y sont liés, comme des mascottes de radiateur (notamment celles crées par Lalique), ou des ornements intérieurs. Nombreux sont également les bronzes, peintures ou dessins consacrés à l’automobile, dont des artistes comme Emmanuel Zurini pour les premiers ou Géo Ham pour les suivants, sont considérés comme des artistes cotés dont les œuvres peuvent atteindre plusieurs milliers d’Euro.
L’art est accessible à tous, par le fait de la contemplation (du moins pour les œuvres visibles), mais il a un prix dès lors que l’on souhaite posséder une œuvre, voire plusieurs. Et là commence le phénomène de la collection dont la valeur peut rapidement atteindre des sommes considérables, même si la plupart des collectionneurs se défend de toute démarche matérialiste et spéculative. L’automobile ne fait pas exception à la règle.
L’automobile ancienne sous toutes ses formes, est en effet un monde de collectionneurs obéissant aux mêmes ressors et règles que ceux qui se passionnent pour des arts plus traditionnels. Certains de ces collectionneurs possèdent des automobiles ou des objets (Automobilia) représentant des valeurs très élevées. C’est le cas de Ralph Lauren, dont la collection est considérée comme la plus fabuleuse détenue par un particulier. 17 de ses pièces sont exposées actuellement au Musée des Arts Décoratifs de Paris, et drainent une masse importante de visiteurs depuis le mois d’avril.
La reconnaissance d’un art nouveau ?
+6McLaren F1 LM de 1996. Collection Ralph Lauren.Credit Photo – Michael FurmanIl est rare qu’un Musée non dédié à la chose automobile, accueille des automobiles et l’on peut donc y voir une forme de reconnaissance de la part d’un milieu d’esthètes généralement peu enclin à associer objets industriels et création artistique.
Pour autant, l’initiative du Musée des Arts Décoratifs n’est pas la première. En effet, le fameux Museum of Modern Art de New-York héberge depuis longtemps, dans sa collection permanente consacrée au design, deux automobiles ayant marqué leur époque : la Cisitalia 202 GT de 1946 qui a inauguré la ligne dite « ponton » et la Jaguar Type E qui l’a rejointe en 1996. Ralph Lauren lui-même a déjà exposé ses voitures dans un musée d’arts à Boston en 2005. Mais la démarche demeure marginale car l’automobile, même d’exception, reste considérée comme un bien de consommation; dont la destination est autre que d’être une œuvre. La question qui se pose est donc celle de la définition de l’art et des œuvres qu’il engendre.
L’Art, du latin Ars, Artis, signifiant « habileté, métier, connaissance technique » est une activité humaine consistant, par agrégation d’éléments, à créer un objet suscitant réflexion et émotion auprès d’un groupe humain. Les acceptions varient naturellement d’un lieu à l’autre, d’une culture à l’autre et d’une époque à l’autre. Il est dès lors impossible de s’accorder sur une définition universelle, les notions même de beauté ou de sens étant diversement partagées. Un certain consensus s’établit toutefois autour des « beaux arts » regroupant la peinture, la sculpture, la musique, la danse, la littérature et la poésie. D’autres domaines, comme le théâtre, la gravure, la photographie, le cinéma, la bande dessinée, voire la cuisine, sont globalement acceptés comme relevant des arts. Reste donc les objets, comme les meubles, les outils, ou les objets manufacturés comme les automobiles, qui prêtent plus à contre-verse. Si le design est déjà entré dans bon nombre de musées, on a vu que l’automobile y occupe une place marginale.
La fonction n’est donc pas la destination, et si l’automobile peut provoquer une émotion, elle ne le doit pas qu’à son aspect statique, à son esthétique ; elle émane de sa dynamique; ce pourquoi elle est conçue : le mouvement. Pourtant, elle correspond bien à la définition initiale et est bien reconnue par des groupes humains, de toutes origines, comme pouvant prétendre à la qualification d’œuvre d’art. En cela, elle relève peut-être des arts modernes, à l’instar de l’art contemporain, dont la finalité n’est plus de revendiquer la beauté intemporelle, mais davantage le reflet d’une époque dans laquelle chacun peut s’identifier. L’automobile est indéniablement un symbole fort du XXe siècle.
Art ou pas art, est-ce si important ?
+6Credit Photo – DRHors-mis l’avantage fiscal que peut apporter une classification en œuvre d’art, la question n’est sans doute pas fondamentale. Chacun est libre de « son art », et de son jugement. L’essentiel est ailleurs, dans la démarche de celui qui s’adonne à un thème qui suscite en lui, des émotions, des envies pouvant mener à un parcours initiatique passant par l’apprentissage d’un domaine et l’accumulation plus ou moins frénétique, d’objets.
Ralph Lauren a bâti sa collection en 30 ans, au gré de ses moyens financiers, lui ayant permis tous les accès (certains diront les excès); mais surtout, de ses passions. Son gout, son sens de l’esthétique automobile, sans doute proche de celui de l’élégance vestimentaire qui a fait sa fortune, ont guidé ses choix, sans arrière pensée spéculative (d’ailleurs, il a peu vendu de voitures). Il n’a pas non plus systématiquement respecté la stricte configuration d’origine des modèles acquis, en leur donnant une couleur qui lui plaisait, souvent le noir, ou en les restaurant à la perfection, corrigeant quelques faiblesses d’époque. Sa démarche est cependant sincère ; c’est celle d’un authentique esthète pour lequel il ne fait aucun doute que l’automobile est un art, que l’objet est beau, qu’il s’agisse d’une carrosserie de Ferrari, d’un moteur de Bugatti, ou d’un détail de moulure sur un chrome de Mercedes.
Pour lui comme pour beaucoup d’amateurs (au sens de ceux qui aiment), l’objet automobile se contemple à l’arrêt. Et en plus, il peut se mettre en mouvement par la volonté de l’homme. C’est d’ailleurs une œuvre d’art que l’on peut diriger, dans laquelle on peut s’installer et bouger. Elle en donne donc bien davantage qu’un tableau que l’on peut simplement contempler ou un morceau de musique que l’on écoute avec délice. L’automobile extrapole les émotions ; elle parle à tous les sens : la vue, l’ouï, l’odorat, le goût et le toucher. Regarder une voiture, toucher ses galbes, sentir les effluves de sa sellerie, écouter le ronronnement de son moteur, sont autant de sensations qui flattent les sens et procurent des émotions. Et ceux qui ne possèdent pas l’œuvre peuvent autant éprouver tout ou partie de ces sentiments, laisser vagabonder leur imaginaire, partager des émotions et échanger avec d’autres.
Ne s’agit-il donc pas alors d’un véritable itinéraire artistique ?
Source Autonews